Tes rêves, les miens, les nôtre

"Ça va."

- Je déteste cette question. Tu sais, le fameux "ça va ?" Et moi, je réponds "ça va." Mais qu’est-ce qui va, en fait ? Rien. Rien ne va.
- Je crois que si tu te décidais à retourner voir un psy, il te diagnostiquerait sûrement dépressive. Avec des tendances bipolaires. Et qui sait ? Peut-être même qu’on te filerait des anti-dépresseurs.
- Ouais… avant j’aurais trouvé l’idée horrible, surtout le côté traitement par cachets. Maintenant, je crois que je m’en fous. Au contraire, ça me fait presque rire d’imaginer ça.
- Un de tes rires douloureux, les rires amers, ceux où ton sourire est une sorte de grimace qui reflète ta douleur et les souffrances à l’intérieur de toi, un de ces rires derrière lesquels tu te dissimules et en-dessous desquels tu caches ta solitude.
- Ma solitude…
- N’est-ce pas ce que tu voulais, ne plus dépendre des autres, ne plus souffrir à cause des autres ? Tu devrais faire un choix, c’est soit la solitude, soit les liens avec ces autres si compliqués à tes yeux… mais pas les deux à la fois.
- Alors explique-moi pourquoi j’ai l’impression d’avoir à la fois les souffrances liées à la solitude et celles liées aux relations avec les autres ? Et je n’en ressens jamais les bienfaits. Je finis par me demander s’ils existent. En tout cas, ils n’existent pas pour moi.
- J’imagine qu’ils doivent quand même exister, sinon tout le monde deviendrait fou.
- Mais c’est justement ça ! Je me sens tellement dégoûtée de tout, de tout le monde, de tout ce monde ! Pour moi, c’est exactement ce qu’il s’est passé ; tout le monde est devenu fou ou est entrain de le devenir ou le deviendra forcément un jour. Je ne crois plus aux bienfaits, aux histoires qui finissent bien. Ce ne sont que des mensonges. On a inventé des choses joyeuses pour essayer de retarder le supplice, sauf qu’arrive un jour où on ne peut plus se mentir assez fort et là, on craque.
- C’est ce qui t’es arrivé… tu y croyais, toi aussi, avant, à ces espoirs et à ces moments heureux.
- Et maintenant, c’est impossible que je puisse y croire à nouveau. J’ai brutalement ouverts les yeux et j’ai vu… j’aurais tant préféré ne jamais les ouvrir, rester aveugle à tout ça...
- Mais c’est arrivé. Il va bien falloir que tu fasse avec.
- Comment je pourrais ? Je me sens si fatiguée… si inutile.
- Continue à dire "ça va." D’abord parce que ça pourra peut-être t’aider à te persuader que quelque part il y a réellement quelque chose qui va. Et ensuite, parce que personne ne te laissera le loisir de choisir une autre réponse. Ils ne t’écouteront pas. Ils ne t’ont jamais écoutée.
- Sauf qu’un jour, j’atteindrai mes limites. Je ferai quoi, ce jour-là ?
- Tu verras bien. On y est pas encore. Tiens le coup encore un peu...
- "Un peu" ? Mais jusqu’à quand, hein ? Plus le temps passe et plus je me dis : à quoi bon ?
- Je ne sais pas. Imagine-toi une raison de tenir, alors. Pour faire honneur à ton instinct de survie, peut-être.
- Non. Je n’ai aucune raison de tenir. Je suis juste lâche. Tellement lâche. C’est simplement pour ça que je ne me laisse pas aller jusqu’à me tuer une bonne fois pour toutes. Je crois que je ne souffre pas encore assez pour me dire que la douleur qui est celle de la mort serait moins pire que celles que je ressens aujourd’hui. Mais un jour, ça m’arrivera.
- Je ne suis pas suffisant, n’est-ce pas ? Je ne peux pas te retenir dans le monde des vivants.
- Tu ne peux même pas me convaincre que j’évolue actuellement dans un monde de personnes vivantes. Pour moi, on a tous un air de déjà morts…